Tous les présidents et tous les ministres de l’Éducation et de la Culture ont, depuis 40 ans, affirmé l’indispensable nécessité de l’éducation artistique et culturelle (EAC), avec une succession de dispositifs (du 10% pédagogique des années 70 aux classes à projet artistique et culturel [PAC] des années 2000) dont le dernier en date est l’enseignement de « l’Histoire des arts » au collège et au lycée. En quoi cet enseignement n’est-il qu’une apparence de réponse, et pourquoi l’EAC ne peut se réduire à une simple discipline évaluable ?
L’approche des arts ne saurait se réduire à une matière comme les autres, avec son créneau horaire, son professeur spécialisé et son examen final. L’EAC offre ces expériences singulières dont chaque élève a besoin pour s’épanouir, en s’initiant à certaines pratiques, en rencontrant des œuvres et en mettant en perspective ses propres connaissances ou compétences à la lumière de ces expressions et de ces découvertes.
Il ne s’agit pas de recruter de futurs publics pour les équipements culturels, ni d’alourdir le cartable de l’élève avec une somme de savoirs supplémentaires. Il s’agit avant tout de mettre l’école en mouvement, en faisant de l’accès à l’art et de l’activité culturelle un levier pour la transformation de cette institution vitale de la République, afin qu’elle ne laisse personne dans les ornières de l’échec.
Les partenariats entre artistes et enseignants stimulent la pédagogie du projet collectif, la dynamique de l’échange. Les pratiques artistiques préparent l’élève aux basculements de civilisation déjà en cours : la conversion au numérique, la mobilité et la précarité des salariés, la délocalisation des productions. Il faut que chacun soit capable de s’adapter à l’évolution des métiers et de se repérer dans un univers saturé d’informations et d’images.
Si l’école conserve l’ambition de fournir la meilleure réponse de la République à l’inégalité sociale, alors l’éducation artistique est pour elle un atout décisif, car elle redonne aux enfants de toutes conditions le plaisir du travail, le goût d’apprendre en faisant jouer tous ses sens. C’est pourquoi elle ne doit pas être réduite à une portion anecdotique dans le projet de loi pour la refondation de l’école.
Après ces années de militantisme durant lesquelles instituteurs, professeurs, artistes, structures culturelles ont résisté pour maintenir des pratiques artistiques et culturelles, complétées – quand ils le pouvaient, de temps de rencontre ou de rapport aux œuvres, qu’attendez-vous des travaux de la Consultation nationale pour l’éducation artistique et culturelle, présidée Marie Desplechin, lancée par la Ministre de la Culture Aurélie Filippetti le 21 novembre 2012 ?
L’ensemble des professionnels, des associations et des observateurs attendent un véritable plan national pour la généralisation de l’EAC de la maternelle à l’Université, comme cela a été promis à plusieurs reprises par le président François Hollande. Un plan digne de ce nom ne peut se contenter de « mesurettes » sans lendemain, ni se limiter à réécrire les circulaires encadrant les dispositifs existants (classes à PAC, ateliers artistiques, classes à horaires aménagés, etc).
Il réclame un pilotage national (par un haut-commissaire, ministre délégué ou délégué interministériel … peu importe après tout la forme et l’appellation de l’instance tant qu’elle garantit une coopération de longue durée entre Éducation nationale et Culture).
Deux autres éléments sont indispensables : des crédits à la hauteur de l’enjeu (car ceux prévus dans la loi de finances pour 2013 démentent sèchement les ambitions affichées) et une formation adéquate pour tous les futurs enseignants, à mettre en place dans les nouvelles Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) annoncées par le ministre Vincent Peillon. Chaque professeur, lors de sa formation initiale, puis continue, devrait être sensibilisé, initié, préparé à la conduite de telles expériences artistiques et pédagogiques.
Reste que la réalité de ce plan national pour l’EAC passera par l’implication des collectivités territoriales (déjà très engagées dans les politiques culturelles et éducatives) et l’évolution espérée de leurs responsabilités dans l’acte III de la décentralisation, également en cours d’élaboration.
L’application des protocoles d’accords signés entre les ministères concernés ne suffit pas à garantir leur bonne entente et à soutenir une logique de coordination sur le terrain. Les expériences passées et conventions signées témoignent de leur insuffisance pour orchestrer la coopération entre acteurs publics. Il faudra répercuter les dispositifs de ce plan national au niveau de conférences régionales où les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et les délégations académiques à l’éducation artistique et culturelle (DAEAC) ne solliciteront pas seulement les collectivités territoriales comme de simples pourvoyeuses de fonds, mais comme des partenaires à part entière, dont les compétences et responsabilités seront clairement réparties.
Ces dernières devront accorder la priorité aux zones rurales et urbaines les moins favorisées. Elles devront aussi être attentives aux expériences innovantes déjà déployées ici et là, afin de venir en aide à ces acteurs de la culture, de l’enseignement et de l’éducation populaire, aussi professionnels que militants, qui ont défié le désenchantement ambiant, porteurs de pratiques artistiques qui méritent d’être enfin considérées, accompagnées et financées.
Il convient de mobiliser l’ensemble des collectivités, des institutions culturelles et des établissements éducatifs dans le cadre d’une politique de longue haleine.
Ample chantier ! On y vérifiera que l’éducation artistique engage concrètement les valeurs de la démocratie et les principes de la décentralisation.
Propos recueillis par Philippe Saunier-Borell et Coraline Bergerault.