Percevoir, pénétrer, pratiquer ; apprendre, éprouver, s’initier... Peu importe dans quel ordre l’on formule ce triptyque. Seule l’école est en mesure de proposer aux enfants de tous âges et de toutes conditions l’opportunité d’associer la découverte, la connaissance et l’expérience, dès lors qu’elle offre à la fois : le cours de littérature, de musique, de dessin, d’histoire de l’art ; la sortie au musée, au spectacle, au concert, en bibliothèque ; la chorale, la fanfare ou l’orchestre, l’atelier de théâtre, de danse ou de cirque, le ciné-club, le studio de tirage photo ou la régie de montage vidéo. Ces trois dimensions inséparables de l’éducation artistique s’inscrivent-elles, en droit en en fait, dans les programmes et les dispositifs d’intervention artistique ?
Trois logiques, un système
En réalité, ces logiques sont fort mal articulées entre elles, non pas tant en raison d’insuffisances économiques, de carences administratives ou de défaillances matérielles que de résistances d’ordre intellectuel. Une vieille querelle a traversé le siècle : dressant Auguste Comte contre Célestin Freinet, elle arme la didactique contre les appâts de la pédagogie, cuirasse les exigences de l’apprentissage collectif contre celles de l’épanouissement individuel. Elle a rebondi à plusieurs reprises dans la France d’après 1968, comme pour rejouer la controverse qui avait opposé, dans la décennie 1936-1946, les psychologues Henri Wallon et Jean Piaget, sur les rôles respectifs de l’aptitude et de l’expérience dans la « naissance de l’intelligence » et la « construction du réel » chez l’enfant. Les attaques d’Alain Finkielkraut contre Philippe Mérieu, celles de Luc Ferry, philosophe promu ministre, contre « la pensée 68 », ont donné un écho public à des batailles de rapports et de circulaires, récurrentes dans les couloirs du ministère.
Depuis la fin des années 1960, la démocratisation de l’enseignement, mais aussi l’expansion des médias de masse ont répandu dans une partie des élites la crainte d’un nivellement des connaissances. Rameau, Courbet ou Méliès sont sans doute guère suspects de dissiper les jeunes esprits, pas davantage que Serge Gainsbourg, Jean Dubuffet ou Jacques Rivette, du reste. Les hérauts des savoirs fondamentaux redoutent toutefois que les thuriféraires de l’art en classe ne cèdent trop aisément aux penchants des élèves, à leur appétit de loisirs et aux modes du moment, sous prétexte que le jeu assouplit le caractère et que le goût aiguise le jugement. D’après eux les heures passées à scruter mises en scène ou des chorégraphies seraient autant de perdues pour la grammaire et le calcul.
Leurs contradicteurs rétorquent tout de go que la fréquentation des œuvres et l’apprentissage d’une discipline contribuent au meilleur entendement des enfants et des adolescents qui, soulignent-ils, vivent un conflit permanent entre les procédés de l’instruction classique, qui leur semblent lents et hiérarchisés à l’excès, et les modalités d’accès aux informations et aux produits de l’industrie culturelle, apparemment immédiates et de plain-pied. L’art offre des objets qui condensent du savoir en dispensant du plaisir : les élèves peuvent élire ces œuvres comme leurs propres précepteurs, qui les étonnent et les tutoient pour mieux les inciter à l’effort. Un tel mélange d’émotion et de raison ne fournit-il pas l’aliment le plus propre à nourrir une jeune conscience ?
Les sociologues interviennent à leur tour dans un débat qui divise la république des professeurs. Constatant que les politiques menées depuis cinquante ans à l’enseigne de la démocratisation culturelle n’ont pas contrecarré les lois de la reproduction, au sens que Pierre Bourdieu a conféré à ce concept, ils espèrent que l’éducation artistique favorisera un partage moins injuste entre héritiers et exclus. Quant aux économistes, convaincus que l’invention de formes et de fictions stimule l’accroissement des richesses, ils en déduisent que la production de biens et de services attractifs requiert à haute dose audace et imagination, qu’ils nomment « créativité » et dont l’art est incontestablement le vecteur. Appelés en renfort, quelques sémiologues s’inquiètent des nouvelles perspectives de la perception : à leurs yeux le modèle éducatif édifié dans le dernier tiers du XIXe siècle a déjà cédé aux assauts des systèmes de transmission concurrents.
À travers les statistiques de l’échec scolaire et de la violence urbaine, ils entrevoient le consommateur conditionné, le téléspectateur halluciné, l’internaute égaré dont les spectres hantent les préaux. Davantage que l’effritement des connaissances et la relativisation des savoirs, c’est la fragmentation des messages et l’atomisation des audiences qu’ils redoutent. Décrétant l’urgence de réhabiliter l’attention à l’autre et la capacité de se concentrer, conditions de la solidarité de groupe et de la civilité en société, ils insistent sur l’importance de lier le goût de l’étude à l’exercice des facultés critiques.
À défaut de mécènes, l’éducation artistique ne manque donc pas d’avocats. Qu’il s’agisse de sauver la culture générale, de réduire la fracture sociale, de promouvoir le dialogue entre les civilisations, d’approcher l’étranger avec tolérance, de se révéler à soi-même ou d’aimer son prochain, du maire au ministre on vante ses vertus - quitte à oublier parfois qu’elle doit d’abord poursuivre ses propres buts, qui consistent à favoriser la familiarité avec les arts. De telles charges risquent de couler la barque avant qu’elle n’ait gagné la mer. À la contradiction que la théorie rencontre chez l’enfant, entre le besoin d’apprendre et l’envie d’apprécier, se superpose en effet le contraste observé, chez les décideurs, entre les envolées des candidats en campagne et l’application pusillanime des textes par l’administration, entre l’envergure des discours et la modestie des mesures, entre les ambitions nationales et les réalités locales, bref entre les espoirs et les déboires des ouvriers de la cause. Sans attendre une improbable concorde entre les doctrines ou une synthèse précaire entre les contraintes, comment dresser l’état de l’art dans le système éducatif ? Reprenons en distinguant les trois approches : scolaire, parascolaire, extrascolaire.
Des matières pour l’enseignement général
La littérature trouve depuis longtemps sa place dans l’enseignement de français, qui, jusqu’aux épreuves du baccalauréat, à la fin de la classe de première, passe en revue les œuvres des auteurs majeurs. On notera toutefois qu’en dehors de la biographie des écrivains, le texte en tant que tel reste le principal enjeu de l’analyse en classe, traitement qui convient sans doute au poème et au roman mais ne saurait suffire pour le théâtre ou le conte.
L’introduction des autres matières dans les programmes nationaux fut difficile et demeure partielle. À l’instar d’Émile Durkheim pour lequel l’esthétique procurait à l’éducation morale un appui trop mou, la IIIe République, éprise de rationalisme et de positivisme, assimilait volontiers sensibilité et sensiblerie. Si elle concéda les beaux-arts à l’Académie, c’était pour mieux repousser leur pratique dans le domaine privé ; et si elle admit le dessin dans le temple de la laïque, c’était en songeant aux services qu’il pourrait rendre à l’industrie. Le solfège, la flûte et le chant ne prétendaient pas se rendre utile à la science, néanmoins on leur demanda d’agrémenter la vie sociale, en particulier celle des jeunes filles.
Une telle instrumentalisation n’est plus de saison, mais la musique et les arts plastiques n’en restent pas moins confinés au collège, dont les enseignants agrégés ou certifiés disposent seulement d’une heure par semaine pour initier leurs élèves. Depuis 1984, neuf centres de formation de musiciens intervenants (CFMI) ont été institués pour délivrer des diplômes universitaires (DUMI) à des praticiens que les communes chargent de l’éveil des écoliers du primaire, si toutefois elles en ont la volonté et les moyens. La ville de Paris se distingue en recrutant à cette fin des enseignants titulaires. Ailleurs, le conservatoire municipal, agréé ou non par l’État, représente souvent la solution de rechange ou de complément pour les familles qui souhaitent confier à leur progéniture un bagage musical, chorégraphique ou pictural, quand ce n’est pas un cours privé (voire un répétiteur à domicile) qui y pourvoit.
Au lycée, les programmes artistiques se bornent aux options proposées dans certains établissements, à raison de trois heures pour les « options facultatives » des diverses séries de la seconde à la terminale, ou de cinq heures pour les « enseignements de spécialité » en première et terminale littéraires (L). Le théâtre et le cinéma, la danse et l’histoire des arts se sont ainsi frayé une place aux côtés des arts plastiques et de la musique, admis dès les années 1960, avec la complicité de structures culturelles des environs. Un bac L à option arts de la piste a même été introduit à Châtellerault à partir de 1998, en relation avec l’École nationale de cirque de la ville. De telles filières, alliant cours théoriques, effectués par un professeur titulaire, et ateliers de pratique, encadrés par un artiste, ne concernent pourtant qu’une minorité de lycéens. L’inquiétude s’est répandue dans plusieurs académies en 2008 face à des restrictions de crédits qui entrainaient une réduction des choix.
Environ 80 écoles et 120 collèges assurent en outre un enseignement musical ou chorégraphique approfondi au sein de classes à horaires aménagés (CHAM), destinées par exemple aux choristes de la maîtrise de Radio France. Le ministère souhaite porter leur contingent à 800 en 2012. Près de 90 lycées d’enseignement général et technologique (LEGT) dispensent en série technologique (T) des spécialités en "arts appliqués" ainsi qu’en "techniques de la musique et de la danse" (TMD). Une forme d’alternance entre le lycée et le conservatoire est ainsi la règle pour les jeunes danseurs, chanteurs et musiciens qui préparent le bac TMD (ex-F11). Des filières d’arts appliqués s’étirent enfin des lycées professionnels (LP) aux instituts universitaires de technologie (IUT) mais aussi vers les écoles supérieures, dont il convient de rappeler qu’elles ne sont pas toutes placées sous l’autorité du ministère de la Culture, telles l’École nationale supérieure des arts et des techniques du théâtre (ENSATT) et l’Institut Louis Lumière à Lyon. Ces acquis ne sauraient faire oublier le déclin des options d’animation culturelle dans les lycées sous tutelle du ministère de l’Agriculture. Une touche manquait au tableau. Nicolas Sarkozy, l’avait promise durant la campagne des présidentielles, Xavier Darcos l’a mise en circulaire : l’histoire des arts est apparue dans le primaire en septembre 2008, puis dans le secondaire à la rentrée 2009. Cette nouvelle matière embrasse tous les champs, de l’architecture à la vidéo, afin de livrer aux élèves des « repères historiques et méthodologiques indispensables à la compréhension des œuvres », sans oublier le « contact direct avec celles-ci ». Les chefs d’établissements sont priés de conclure à cette fin des accords avec les institutions culturelles du territoire, si ce n’était déjà le cas. Chaque enseignant du collège peut s’en mêler, mais l’historien doit lui consacrer le quart de son temps de cours, et ses collègues musiciens et plasticiens la moitié de leur quota, au détriment de la pratique par conséquent. Une épreuve du brevet sanctionne cet enseignement. Au lycée, tous les professeurs - surtout en sciences humaines - se répartissent en principe un volume annuel de vingt-quatre heures, dont les acquis devraient prêter à validation lors du bac. Ces dispositions assez floues, annoncées sur fond de contraction des effectifs et des horaires d’enseignement, ont suscité le scepticisme des personnels les mieux disposés à l’égard de l’éducation artistique.
La pratique à l’école
Ces derniers objectent que la possibilité de suivre une pratique d’initiation artistique dans le cadre scolaire, fût-ce en dehors du temps mesuré des programmes, est encore l’apanage d’une très petite minorité d’élèves qu’aucune statistique fiable ne permet d’évaluer. Les fourchettes varient d’une académie à l’autre, mais l’objectif de toucher la totalité des enfants et adolescents au moins une fois au cours de leur cursus est encore distant, pour ne pas parler de l’ambition de les atteindre une fois par an. Le parcours a pourtant paru long, du colloque d’Amiens pour une « École nouvelle » en mars 1968 au Haut conseil pour l’éducation artistique et culturelle (HCEAC) d’aujourd’hui, du « tiers-temps pédagogique » introduit à l’école élémentaire en 1969 aux classes à projet artistique et culturel (PAC) de 2001, des timides actions financées par le Fonds d’intervention culturelle (FIC) en 1970 aux protocoles de 1983 et 1993 entre les ministères de l’Éducation et de la Culture, en passant par le « 10% pédagogique » de 1973, les projets d’action éducatives et culturelles (PACTE) de 1979, les projets d’action éducatives (PAE) de 1981, les classes de patrimoine, inaugurées dès 1980, et autres « classes culturelles transplantées », développées par la suite, les ateliers de pratique artistique (APA) étendus depuis 1983. Tombeuse de sigles et de textes, cette histoire tortueuse a été écrite par quelques milliers d’adultes passionnés, venant des rangs de l’Éducation aussi bien que des mouvements associatifs et des milieux artistiques, relayés par quelques dizaines de hauts fonctionnaires et de rares élus, qui ont permis aux expériences de mûrir, aux innovations de faire florès. Ensemble, ils ont porté des opérations comme « Collège au cinéma », « École au cinéma », « Lycéens au cinéma » qui fédèrent des centaines de milliers d’élèves à travers le pays depuis 1989. Deux textes officiels ont fini par consolider leurs fragiles conquêtes : la loi du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques incluait ces derniers dans les missions de l’Éducation nationale, tout en accordant une légitimité politique et une couverture juridique à l’implication dans la vie scolaire de personnes étrangères à l’établissement ; la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 et son décret d’application du 11 juillet 2006 , grâce à des amendements arrachés in extremis, incorporèrent les arts au « socle commun des connaissances et des compétences » que les élèves doivent acquérir.
En revanche les efforts des pionniers n’ont pas encore abouti à l’organisation d’une présence systématique de l’art à l’école dans les dispositifs gouvernementaux. L’épisode du « Plan de cinq ans » conçu par Jack Lang et Catherine Tasca a marqué les mémoires. Mis en route en décembre 2000 par ces deux ministres de l’équipe de Lionel Jospin - le premier rue de Grenelle et la seconde rue de Valois -, sa montée en puissance fut stoppée par un coup d’arrêt du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin fin 2002, avant de faire long feu, malgré la « relance » annoncée par son troisième cabinet en janvier 2005. Les classes à PAC ont perduré en moindre nombre, principalement dans le primaire, de même que les APA, plutôt dans le secondaire, mais s’il n’était brisé l’élan était désormais ralenti. C’était pourtant la première fois qu’un appareil d’accompagnement aussi complet avait été prévu pour aller pas à pas vers la « généralisation » de l’éducation artistique et culturelle : un Centre national de la documentation pédagogique (CNDP) rénové prenait la tête d’un réseau Services culture édition ressources pour l’Éducation nationale (SCÉRÉN), des pôles nationaux de ressources (PNR) associant un Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), un Centre régional de documentation pédagogique (CRDP) et une structure culturelle voyaient le jour dans les différentes disciplines, y compris le design ou la photographie ; des portails et des sites d’information ouvraient sur Internet, la formation continue des enseignants au partenariat des artistes était étoffée dans les IUFM et les universités d’été ; les délégations académiques à l’éducation artistique et culturelle (DAAC) des rectorats collaboraient avec les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) qui accueillaient des enseignants en détachement... une mobilisation couronnée par l’installation du Haut Conseil pour l’éducation artistique et culturelle (HCEAC), qui se substituait au Haut Comité pour les enseignements artistiques, quasiment en sommeil depuis sa création en 1988.
L’allocation de crédits, certes insuffisants mais déjà encourageants, a stimulé l’ardeur des acteurs de terrain, ces passeurs entre les mondes de l’art et l’univers scolaire qui, de l’Association nationale de recherche et d’action théâtrale (ANRAT) à la Maison du geste et de l’image (MGI) de Paris, eurent le sentiment d’obtenir enfin la reconnaissance des pouvoirs publics. Beaucoup se sont investis dans des colloques et des séminaires de réflexion, sinon dans la rédaction de supports pédagogiques, des Textes et documents pour la classe (TDC) à la revue Théâtre aujourd’hui, en passant par des mallettes et des DVD. Nombre d’agents de l’Éducation nationale se sont portés candidats pour être mis à disposition auprès d’établissements culturels, contribuant ainsi à l’essor des services de relations avec les publics et des cellules pédagogiques dans les musées, les théâtres et les opéras, également entretenu par l’habilitation de diplômes de médiation culturelle dans les universités, de la licence au master professionnel. Artisans du partenariat, les enseignants, les intervenants et les intermédiaires ont confronté leurs méthodes, mais ont aussi su faire cause commune avec des représentants des collectivités territoriales qui soutenaient leurs projets en leur procurant de l’argent, locaux et équipements.
L’enthousiasme a failli s’évanouir dans les avatars de l’alternance. Les maillons du réseau restent en place, mais les budgets alloués depuis 2005 leur permettent tout au plus de maintenir l’activité, sans franchir un seuil significatif. Outre le tarissement des subsides, l’amenuisement des plages horaires vouées aux ateliers, une succession de réformes, tirant les programmes à hue et à dia, l’inconsistance du verbe officiel qui érige l’éducation artistique en priorité tout en lui infligeant le régime sec, enfin les arbitrages sévères de certains recteurs, bientôt imités par quelques directeurs régionaux des affaires culturelles, ont refroidi les militants. Vigilants sur l’emploi, les salaires, les retraites ou la durée du travail, les syndicats du personnel enseignant n’ont pas enfourché le cheval de bataille de l’art, à de rares exceptions près. La question des pratiques d’éveil les divise assurément entre ceux qui mettent l’élève « au cœur du système » et ceux qui tracent une « verticale des savoirs », mais aussi entre des corps de fonctionnaires défendant les horaires de leur matière. De même les parents d’élèves, plus soucieux d’alléger le poids des cartables et de réduire les devoirs à domicile, au reste partagés entre partisans de la semaine continue et amateurs de week-ends prolongés, se sont montrés discrets sur le sujet.
Vanté rue de Grenelle mais dédaigné par Bercy, le modèle du partenariat « à la française » continue de récolter des succès d’estime à l’extérieur de l’Hexagone. L’alliance originale de l’artiste et du professeur intéresse les experts, dès lors qu’elle est conclue dans l’intérêt des élèves, de manière à concilier deux démarches dissemblables mais complémentaires, au lieu d’enchaîner des séquences entre des maîtres mutuellement jaloux de leurs compétences. Il faut pour cela que les modalités de leur coopération respectent quelques préceptes : la protection de l’autonomie de l’artiste, une formulation commune du projet, une préparation conjointe de la réalisation, des étapes d’interventions alternées dans la classe et dans l’atelier, un temps de présentation publique du travail, ou du moins de restitution au regard des tiers, enfin une phase d’évaluation qui autorise à tirer des recommandations pour la suite.
De l’art hors des murs
Le catalogue des contrats du type des plans locaux d’éducation artistique (PLEA), une formule datant de 1992, qui se sont succédés pour encadrer l’offre culturelle en dehors des horaires et des locaux scolaires requerrait un article entier. Aux administrations précitées se sont joints le ministère de la Jeunesse et des Sports, et bien sûr les communes et les groupements intercommunaux, les départements et les régions. Les jumelages entre établissements scolaires, d’une part, monuments, musées, archives, bibliothèques, scènes (locales ou nationales), écoles d’art, conservatoires ou centres de culture scientifique et technique, d’autre part, ont commencé avant 1981, mais il est patent que le protocole de 1983 en a favorisé la multiplication.
Pas une communication ministérielle, pas un schéma territorial n’omet désormais de les recommander. Qu’elles regardent un important centre culturel de rencontre ou une petite compagnie de spectacle, les conventions signées par les exécutifs impliquent presque toujours un volet d’action en direction des élèves ; les structures culturelles qui n’auraient pas pour habitude de solliciter régulièrement des publics scolaires relèvent maintenant de l’exception. En s’adossant à la loi du 13 août 2004 sur les libertés et les responsabilités locales, dont les termes ne sont pas si contraignants, les ministres concernés ont résolu d’intégrer une obligation de partenariat dans les projets d’établissement des écoles, collèges et lycées, en même temps que dans les « contrats de performance » des établissements publics du domaine culturel. Il leur faudra poursuivre dans cette voie en demandant aux assemblées locales de veiller, en bonne intelligence avec les rectorats, à la mise en cohérence de tous ces documents, dans le cadre des schémas départementaux et des plans régionaux des enseignements artistiques exigés par cette loi.
Les excursions dans les monuments historiques, les visites aux galeries d’exposition, les séjours dans les salles de théâtre et les auditoriums ne bénéficient pourtant à toutes les classes, loin de là. Réussir une sortie suppose un concours de circonstances favorables réaliser une sortie : des professeurs dévoués, prêts à payer de leur personne pour monter le projet, préparer leurs ouailles et les accompagner sur place ; des équipements culturels situés à proximité, aux personnels rompus à l’accueil d’un public parfois turbulent, un établissement scolaire dont le budget autorise la location d’un autocar et dont le responsable approuve ce genre d’expédition.
Quand l’école ou la mairie font défaut, des associations prennent souvent le relais. On connaît les ligues d’éducation populaire telles que les Fédérations départementales des œuvres laïques (FOL) ou les clubs Léo-Lagrange, les maisons des jeunes et de la culture (MJC) partagées entre deux fédérations, les Jeunesses musicales de France (JMF) et les Musigrains, les compagnies de théâtre amateur réunies dans la Fédération nationale des compagnies de théâtre et d’animation (FNCTA,) les groupements de ciné-clubs et les mouvements qui ont pris la relève après leur déclin. La plupart se sentent écartelées entre trois ministères : Éducation nationale, Jeunesse et Sports, Culture. Par ailleurs une myriade d’associations - des archéologues amateurs aux joueurs de musiques traditionnelles, des harmonies et fanfares aux sociétés savantes - s’activent dans les différents champs disciplinaires afin d’initier les jeunes à la pratique de leur choix.
On se souvient qu’André Malraux avait préféré perdre en 1960-1961 des crédits affectés à l’éducation populaire, plutôt que d’attacher durablement à son administration des organismes dont les conceptions s’accordaient mal à celles de ses conseillers. Des historiens n’hésitent pas à attribuer à cet abandon la brouille, voire le divorce entre la Culture et l’Éducation. D’où l’émoi qui devait saisir tant de volontaires de l’éducation artistique, en 2008 et 2009, lorsqu’ils constatèrent dans plusieurs régions que leurs associations figuraient parmi les victimes de la diminution drastique des crédits inscrits au programme de la loi de finances baptisé « démocratisation culturelle et transmission des savoirs », selon l’intitulé dont les autorités ont pourtant fait leur devise.
Les conditions de la généralisation
Les promesses de jours meilleurs ne suffisent pas à rassurer des porteurs de projet qui déplorent que l’artiste ou l’enseignant doive affronter tant d’obstacles économiques et administratifs pour l’accomplir. La réforme de la formation et du recrutement des enseignants du second degré, arrêtée par Xavier Darcos et Valérie Pécresse à l’enseigne de la « mastérisation », remet en question les fondements des IUFM, et donc à terme la sensibilisation des futurs professeurs aux disciplines artistiques et aux rapports de partenariat. Ils savent que ces relations demeureront bridées ou biaisées aussi longtemps que le régime d’assurance chômage des artistes n’admettra pas vraiment la dualité des fonctions de l’auteur (ou de l’interprète) et du pédagogue. C’est en vertu de son extériorité au monde scolaire que l’artiste est invité à en dérouiller les routines. Malheureusement, le temps d’enseignement des intermittents du spectacle, sollicités de toutes côtés pour intervenir - quand ils n’y sont pas astreints par la convention liant leur compagnie aux bailleurs de fonds publics - et animer des ateliers à l’école, en collège ou au lycée, n’est pris en compte que dans une portion congrue dans le total des heures requis pour obtenir l’allocation qui leur apporte un indispensable complément de revenu. Incités à se faire les auxiliaires de l’éducation, mais sommés de rester des créateurs sans attaches, telle est l’étrange contradiction à laquelle ils sont soumis.
Demeurant persuadées que la généralisation des enseignements artistiques à l’école constitue la seule parade aux injustices résultant du capital culturel, de l’héritage familial et des inégalités sociales, mais aussi des disparités territoriales (entre Paris et la province, zones urbaines et rurales, métropoles et cités isolées, collectivités confortablement dotées ou non), une cinquantaine d’organisations se sont regroupées dans un Forum permanent de l’éducation artistique (FPEA). Pointant les éléments qui réclament un débat national, elles s’interrogent notamment sur les nouveaux rythmes scolaires. La semaine de quatre jours adoptée dans le primaire allonge la journée sans y dégager les heures nécessaires aux activités hors programmes. Renvoyer l’initiation artistique au mercredi ou au samedi de repos, cela revient pour l’État à transférer le coût des cours et des ateliers à la charge des collectivités territoriales, mais encore à soumettre les enfants au vouloir, au savoir et aux avoirs des parents, selon qu’ils sont disponibles, fortunés, informés. Ces mouvements considèrent par conséquent l’obligation de l’éducation artistique comme une condition de la généralisation, dont le principe découle directement de l’inscription, par la loi Fillon de 2004, de la littérature et des arts, d’une approche sensible des œuvres et d’une pratique personnelle dans le « socle » des fondamentaux. Une loi de programmation budgétaire donnerait sa traduction financière à cet engagement républicain. À défaut d’une augmentation des crédits étalée sur plusieurs années, les comparaisons européennes ou internationales ne s’avéreraient, à la longue, plus si flatteuses pour le pays de Victor Hugo et Jules Ferry, admiré pour la souplesse de ses dispositifs, mais critiqué pour le faible nombre d’élèves servis.
Décidément, l’éducation artistique collectionne les paradoxes. L’un d’entre eux, non le moindre, veut que l’Université, alma mater des arts et des sciences, soit encore en large partie une terra incognita pour la pratique culturelle. Encore un beau chantier en perspective.
Emmanuel Wallon
Bibliographie sur l’éducation artistique en milieu scolaire
(Généralités)
Ouvrages
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CARASSO Jean-Gabriel, Nos enfants ont-ils droit à l’art et à la culture ?, Éditions de l’Attribut, Toulouse, 2005.
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Articles de synthèse
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CHAINTREAU Jean-François & JAMET Dominique, « L’éducation artistique et culturelle », in Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959, sous la direction de Emmanuel Waresquiel, Larousse /CNRS Éditions, Paris, 2001, p. 244 à 250.
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WALLON Emmanuel, « L’éducation artistique entre velléités nationales et volontés locales », in Les Temps Modernes, spécial Éducation nationale, Les faits et les mythes, sous la direction de Michel Kail et Jean-François Louette, Paris, n° 637-638-639, mars-juin 2006, p. 584-601.
Dossiers de revues
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L’Observatoire, dossier « Éducation artistique et culturelle : perspectives internationales », n° 31, Observatoire des politiques culturelles, Grenoble, hiver 2007.
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Rapports officiels
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JUPPÉ-LEBLOND Christine, Gérard Lesage, Anne Chiffert et Marie Madeleine Krynen, Rapport sur l’éducation aux arts et à la culture, à l’attention du Ministre délégué à l’enseignement scolaire et au Ministre de la Culture, Paris, janvier 2003.
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Textes de référence
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Plan pour les arts et la culture à l’école, Ministère de l’Éducation nationale, CNDP, Paris, 2001.
Loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école et décret d’application n° 2006-830 du 11 juillet 2006.
Circulaire n° 2008-059 du 29 avril 2008 (MEN - DGESCO B2-3), Ministère de l’Éducation nationale, Paris.
Sites Internet
Portail interministériel d’information pour l’éducation artistique et culturelle : www.education.arts.culture.fr
Services culture éducation ressources pour l’Éducation nationale (SCÉRÉN) :
Centre national de documentation pédagogique (CNDP) : www.cndp.fr/accueil.htm
SCÉREN - CNDP (Département Arts et culture) : www.artsculture.education.fr
Ministère de la Culture et de la Communication : www.educart.culture.gouv.fr
Symposium : "Évaluer les effets de l’éducation artistique" : www.centrepompidou.fr/Pompidou/Pedagogie.nsf/Docs/IDD9E5FC50EAF95536C12570D7004A1A24 ?OpenDocument&L=1
Actes du séminaire national sur l’éducation artistique et culturelle des 22 et 23 janvier 2007 : http://eduscol.education.fr/D0217/actes_EAC.htm
Forum permanent pour l’éducation artistique : http://fpea.over-blog.com
Association nationale de Recherche et d’Action théâtrale (ANRAT) : www.anrat.asso.fr