dimanche 23 octobre 2011
" « Tout théâtre est politique », « Faire du théâtre constitue en soi un acte politique » : ce genre de déclarations, qui aurait semblé incongru voire impossible il y a cinq ou dix ans, ressurgit depuis peu dans la bouche ou les écrits d’artistes et de praticiens du théâtre qui, désormais, ne craignent plus de prononcer le (gros) mot. On n’est pas très loin du « tout est politique » des années 1970, formule à double tranchant, susceptible de générer autant de conscience que de confusion.
La constitution de notre groupe de chercheurs n’est sans doute pas tout à fait étrangère à ce nouvel air du temps. Ayant pour la plupart en commun d’étudier un théâtre qui participe de façon ouverte et déterminée aux combats politiques de son temps (ceci à différentes époques historiques), d’un théâtre il faut le dire souvent passé sous silence, minoré, voire récupéré par l’historiographie dominante, nous estimons qu’il est nécessaire, plus que jamais, d’être vigilants quant à l’emploi des mots et leur poids idéologique.
Ces études qui associent esthétique et politique, art et révolution, théâtre et militantisme, relativement délaissées pendant les décennies 1980-1990 au nom d’une prétendue autonomie de l’art, connaissent aujourd’hui une forme de renouveau. Depuis les recherches du groupe constitué au sein du CNRS (autour de Philippe Ivernel et Jonny Ebstein) à la fin des années 1970 et la parution de quelques précieux volumes [1], le paysage était resté relativement désert dans le domaine. D’où la nécessité de continuer à explorer méthodiquement le champ, de forger et d’expérimenter des outils théoriques et critiques exigeants, de penser la posture du chercheur face à la spécificité de ces objets sensibles, aujourd’hui et pour aujourd’hui.
Notre groupe, constitué en 2004 à l’université de Nanterre, rassemble des doctorants et chercheurs issus d’une génération qui a grandi dans les années 1980-1990. Le colloque « Théâtre et cinéma militants, 1966-1980 » organisé à Nanterre en mai 2003 a été un lieu de rencontre, peut-être un déclencheur. Nos champs historiques, nos démarches et nos angles d’attaque diffèrent, divergent parfois. Mais le travail de groupe, en collectif, la confrontation des périodes historiques d’étude, des corpus, références bibliographiques, méthodes, savoirs, conceptions et hypothèses, nous font mesurer l’étendue et la complexité du champ de ces études, l’importance aussi du débat et du clivage des idées, pour maintenir sa démarche de recherche en éveil, tenter d’éviter les écueils de la complaisance.
Plusieurs axes de travail sont explorés par le groupe depuis sa création, à travers des approches socio-historiques et esthétiques :
la terminologie de ce type de théâtre, ses usages et implications tant idéologiques que méthodologiques (« théâtre politique », « théâtre militant », « théâtre de propagande », « théâtre d’intervention », « théâtre populaire », « théâtre ouvrier », etc.) ;
la conception et le rôle de l’art et du théâtre chez les théoriciens socialistes (Fourier, Proudhon, Marx et Engels, Lénine, Trotsky, Gramsci, etc.) et leur influence historique ;
les réalisations esthétiques, théâtrales, dramaturgiques (drames et farces de la Révolution française, formes d’agit-prop, théâtre documentaire, théâtre épique, théâtre d’intervention, théâtre de l’opprimé ; Piscator, Brecht, Gatti, etc.).
L’analyse et la connaissance précises de ce théâtre et de son histoire, la relecture des textes de référence, associés à un questionnement sur les rapports multiples entre politique et esthétique, nous semblent d’autant plus indispensables que cet héritage semble méconnu aujourd’hui à ceux qui entendent faire du théâtre un instrument de lutte, d’autant plus nécessaires dans une période où circulent des discours et des formes artistiques transpirant d’idéologies inconscientes ou mal maîtrisées."
Pour le groupe Théâtre(s) politique(s), Marine Bachelot (2005)
Fondé en 2004, le groupe Théâtre(s) politique(s) réunit de jeunes chercheurs – aujourd’hui, une quinzaine de doctorants, docteurs et maîtres de conférences – investiguant sur les différents avatars du théâtre politique, sur son histoire, ses modes d’organisation et ses enjeux. Rattaché à l’équipe de recherche « Histoire des arts et des représentations » de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, il tire en particulier sa richesse de la diversité des approches et outils d’analyse qu’offrent ses membres, diplômés en littérature, théâtre, histoire, sociologie.
Soucieux de contribuer au développement de la recherche sur un sujet longtemps délaissé, le groupe a parié, depuis sa création, sur l’articulation des recherches personnelles et des travaux collectifs, permettant d’approfondir et croiser les études, leurs modes de réalisation et leurs résultats. À cette fin, le groupe s’est constitué en espace d’écoute et d’échange privilégié, et a entrepris deux recherches transversales : la première, sur « Théâtre et monde du travail », a débouché sur l’organisation de deux journées d’étude et la parution d’un numéro de Théâtre / public ; la suivante, sur le Théâtre de l’opprimé, s’organise désormais autour du film documentaire Muhtadhara, réalisé par deux de ses membres.
C’est suivant ce même objectif que le groupe a décidé de lancer sa propre revue numérique. Afin d’assurer la qualité et la réussite de ce projet ambitieux, il a constitué un comité scientifique, rassemblant des chercheurs reconnus s’intéressant à son axe de recherche.
Présentation de la revue
La revue Théâtre(s) politique(s) est consacrée au théâtre politique dans la diversité de ses conceptions et manifestations. Revue spécialisée, elle se donne pour missions le développement et l’approfondissement des études scientifiques sur le sujet, la diffusion la plus large possible de leurs résultats.
Émanation du groupe de recherche Théâtre(s) politique(s), rattaché à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, elle se veut à l’image de celui-ci : plurielle et transversale dans les approches (dramaturgique, historique, littéraire, philosophique, sociologique, etc.), attachée à l’articulation dynamique de la perspective historique et de la recherche très contemporaine, en dialogue avec les autres arts et médias (arts vidéo, chanson, cinéma, Internet, marionnettes, peinture, photographie, télévision, etc.), ouverte aux regards non-universitaires (d’artistes, penseurs, politiques).
Le support numérique, compte tenu de ces fonctions et ambitions, est très précieux. Approprié à la transmission en nombre des travaux personnels ou collectifs, il répond à la diversité des formes que ces travaux adoptent (articles, entretiens, tables rondes, comptes-rendus) ainsi qu’à la nécessité éventuelle d’y joindre des documents de première main (manuscrits, iconographiques, etc.).
Chaque numéro de la revue comprend quatre parties : un dossier thématique, des articles indépendants, des comptes rendus (de parution, de spectacle, de colloque ou de tout autre évènement), un document audiovisuel (entretien, extrait de spectacle, etc.). Un appel à contributions est diffusé pour chaque dossier thématique ; la soumission des comptes rendus et articles divers est libre. Les normes de présentation des manuscrits et modalités de dépôt sont consultables sur le site de la revue.
Comité scientifique
Olivier Bara (Université Lumière - Lyon 2)
Christian Biet (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Marion Denizot (Université Rennes 2)
Pascale Goetschel (Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne)
Jean-Pierre Han (Frictions, Lettres françaises)
Martial Poirson (Université Stendhal - Grenoble 3)
Emmanuel Wallon (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Appel à contribution : La Commune de Paris et ses représentations
Le dossier du premier numéro de la revue sera consacré à la Commune de Paris et ses représentations.
Période longtemps bannie de l’histoire officielle et se résumant à quelques lignes dans les livres d’histoire de l’école républicaine, la Commune de Paris a constitué un champ de recherche très politisé et a été source de divisions entre les historiens. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, cependant, ceux-ci ont surtout essayé de dépassionner le sujet. Il est désormais un terrain apaisé et propice à la recherche, ce que montrent, par exemple, les travaux qui font référence de Jacques Rougerie ou de Madeleine Rebérioux.
Plus particulièrement, la question du rapport des artistes à la Commune et les représentations de cet événement ont donné lieu à quelques parutions, parmi lesquelles :
Écrire la Commune : témoignages, récits et romans : 1871-1931, dirigé par Roger BELLET et Philippe RÉGNIER, (Du Lérot éditeur, 1994) ;
The Paris Commune on the stage : Vallès, Grieg, Brecht, Adamov de Gerhard FISCHER (P. Lang, 1981) ;
Les Écrivains contre la Commune de Paul LIDSKY (La Découverte, 2010) ;
La Commune et les artistes : Pottier, Courbet, Vallès, Clément de Jean PÉRIDIER (Nouvelles éditions latines, 1980) ;
« Roman, théâtre et chanson : quelle Commune ? » de Madeleine REBÉRIOUX (in Le Mouvement social, n°79, 04-06/1972, p. 273-292).
De la fin du XIXe siècle à nos jours, la Commune a certes été portée à la scène à plusieurs reprises mais de façon irrégulière compte tenu de sa charge politique. En effet, l’interdit et la censure dans les années qui ont suivi cet épisode, jugé traumatisant, ont eu des répercussions évidentes sur la représentation de l’événement et il semble que le sujet ait été particulièrement peu abordé au théâtre au moins jusque dans les années 1920. On peut néanmoins citer la pièce de Jules Vallès (La Commune de Paris – 1872).
En revanche à partir des années 1950, on peut remarquer un regain d’intérêt pour l’événement : plusieurs grands auteurs se sont réappropriés le sujet, tel Bertolt Brecht (Les Jours de la Commune – 1949), Arthur Adamov (Le Printemps 71 – 1961) ou encore André Benedetto (Commune de Paris – 1971). Cette réflexion nous donnera donc l’occasion de nous replonger dans ces oeuvres souvent peu connues, qui méritent pourtant d’être revisitées.
Il sera également intéressant de travailler sur des représentations plus récentes, puisque la Commune continue d’être source d’inspiration pour les artistes, les réalisateurs, les compagnies. Citons quelques spectacles et productions créés ces dernières décennies sur lesquels il serait aussi possible de soumettre des contributions :
La Canaille, d’après Bertolt Brecht, Georges Darien et Victor Hugo, adaptation d’Hubert Gignoux, mise en scène de Pierre Debauche, Théâtre des Amandiers, 1971 ;
Le Cochon noir, de Roger Planchon, TNP Villeurbanne / Théâtre national de la Colline, 1973 puis 2000 ;
Barricade, d’après Adamov, Compagnie Jolie Môme, 1999 (reprise pour le 140e anniversaire de la Commune) ;
L’Affaire d’un Printemps, de Martial Bléger et Hervé Masnyou, Théâtre de Ménilmontant, mai 2011 ;
Morte ou vive – Vive la Commune, Compagnie Même Si (actuellement en tournée) ;
La Commune (Paris 1871), film théâtralisé réalisé par Peter Watkins, 2007.
La diversité des productions liées à cet épisode devrait nous permettre de réfléchir de façon approfondie à la question des dramaturgies de l’histoire. La recherche est ouverte plus particulièrement au champ du théâtre, mais nous prenons également en compte celui du cinéma, de la chanson et plus largement du spectacle vivant.
On pourra aborder différents axes, par exemple :
la transposition de l’événement historique, ses fonctions mémorielle, commémorative ou militante : cherche-t-on à donner une représentation fidèle des événements ? Y a-t-il un objectif politique et militant derrière le choix de l’événement et sa mise en forme théâtrale ? Cherche-t-on à glorifier la Commune, à montrer ses erreurs, à en tirer une leçon pour le présent, à faire preuve de pédagogie ?
l’influence du contexte d’écriture et de représentation sur la portée politique des oeuvres : quel sens prend un spectacle sur la Commune selon qu’il est monté au début du XXe siècle, dans les années 1950-1960 ou aujourd’hui ? Quel rapport au présent peut être recherché ? Y a-t-il eu des contextes institutionnel, théâtral et militant privilégiés dans lesquels a pu être abordé cet événement ? Quel est le profil des metteurs en scène qui choisissent de parler de la Commune ? Quels théâtres ou institutions ont présenté ces pièces ? Peut-on mettre ces démarches en lien avec les problématiques institutionnelles ou militantes du théâtre à un moment précis ?
la représentation des personnalités historiques et celle des mouvements de foule : comment sélectionne-t-on les personnages parmi l’ensemble des acteurs et actrices de la Commune ? Met-on l’accent sur les défenseurs de la Commune, les adversaires, sur les réalisations de la Commune ou sur sa répression ? Comment sont « sélectionnés » les personnages de la Commune ? Quelle est la place des personnages historiques, des personnages fictifs et, en cela, cherche-t-on à introduire un effet de réel, à se positionner idéologiquement vis-à-vis de l’événement, à l’inscrire comme un prolongement de révolutions passées ou à y voir un modèle pour des révolutions postérieures ? Quelle place occupent les personnages féminins ?
les choix esthétiques : la Commune est elle représentée de façon réaliste ? sous forme de récit ? d’évocation ? Quels liens s’établissent entre choix esthétiques (réalisme, symbolisme, narration, etc.) et intentions politiques ?
la réception des pièces et oeuvres artistiques sur la Commune : Comment a-t-elle été instrumentalisée ? Quelles ont été les réactions du public ? Quelles critiques ont été formulées ?
Ces questions et ces éléments de réflexion sont autant de pistes possibles pour les contributions.
Les propositions d’articles, d’une page environ, sont à adresser à info@teatropoli.net avant le 20 novembre 2011. La revue est aussi ouverte à des comptes rendus (de lectures, spectacles, colloques, etc.) qui ne concernent pas le dossier principal et à des documents audiovisuels (ce qui formera la troisième partie de la revue) : captations d’extraits de spectacles, entretiens avec un artiste ou un chercheur permettant d’éclairer l’histoire et/ou l’actualité du théâtre politique.
Après acceptation des propositions, les articles (maximum 35 000 signes environ, espaces compris) seront à adresser avant le 8 janvier 2012, pour une parution prévue début mars 2012. La revue accueillera également les images, graphiques, fichiers sons et vidéos pourvu qu’ils soient en règle avec la législation en vigueur concernant les droits d’auteur, droits à l’image et droits de diffusion.
Coordination : Laetitia Dumont-Lewi, Nathalie Lempereur, Audrey Olivetti
Le Groupe Théâtre(s) politique(s).
Voir en ligne : Site du groupe Théâtre(s) politique(s)