François Fillon a reçu le président serbe Boris Tadic, le 7 avril, au lendemain de l’anniversaire du siège de Sarajevo, qui dura quarante mois de 1992 à 1996. Pendant ce temps, à Vienne, le général Jovan Divjak, illustre artisan de la défense de la ville, attendait l’examen de la demande d’extradition lancée à son encontre par Belgrade. Au-delà de son cas personnel, c’est l’établissement de la vérité et l’administration de la justice que les nationalistes cherchent à troubler à travers cette procédure.
Arrêté par la police autrichienne le 3 mars, puis relâché après versement d’une caution de 500.000 €, ce militaire d’origine serbe, qui a voué sa retraite à une fondation en faveur des orphelins de guerre, eut le courage de quitter l’Armée populaire yougoslave (JNA) dès qu’elle s’égara dans la « purification ethnique », et de rejoindre l’état-major bosniaque. Il est accusé d’avoir ordonné un assaut contre un convoi de la JNA... dont il s’efforçait justement d’assurer la sécurité, le 3 mai 1992, rue Dobrovoljačka. Son rôle fut en réalité celui d’un médiateur tâchant de faire taire les armes. Un reportage largement diffusé le montre exposé aux balles, sur le blindé des Nations unies abritant le président bosniaque Alija Izetbegovic et sa fille Sabina, otages des forces serbes, s’écriant « Ne tirez pas ! ». [1]
Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a déjà statué sur son dossier en juillet 2003, estimant les poursuites infondées. En juillet 2010, la justice britannique a jugé abusive une requête analogue formulée par la Serbie à l’encontre de l’ancien vice-président bosniaque Ejup Ganic. En novembre, Interpol a décidé d’interrompre la diffusion des mandats d’arrêt lancés par ses membres, pour ce type de crimes, sans le consentement des pays dont les suspects sont ressortissants. Un accord conclu entre les États de l’ex-Yougoslavie stipulait déjà que de telles poursuites incombaient aux pays dont ils ont la nationalité. C’est d’ailleurs pourquoi le parquet de Sarajevo vient d’émettre à son tour une demande d’extradition, le 23 mars. En Serbie même, les organisations civiques indépendantes ont dénoncé la politique de « relativisation des responsabilités dans la guerre » menée par leur gouvernement. Seize ans après les accords de Dayton, la confédération bosniaque reste profondément divisée et les droits des minorités y sont bafoués, surtout dans l’entité serbe dont les autorités, encouragées par les idéologues de l’Académie de Belgrade, s’obstinent dans leur volonté d’exacerber les tensions.
La responsabilité de protéger les populations civiles, illustrée aujourd’hui à Benghazi, n’a pas toujours été la doctrine en vogue à Paris. Alain Juppé était impavide à Matignon en juillet 1995, quand 7 à 8000 Musulmans furent massacrés à Srebrenica, « zone de sécurité » de l’ONU. De retour au quai d’Orsay, il a demandé la relaxe de J. Divjak et salué son combat pour une république fondée sur la citoyenneté. La France peut faire mieux. Il faut qu’elle lève tout soupçon de complaisance en assistant les polices qui recherchent Ratko Mladic et autres inculpés du TPIY. Contre les tentatives de réécrire l’histoire dans les prétoires, elle doit avertir la Serbie que son rapprochement avec l’Europe dépend de sa coopération avec la justice internationale. Vis-à-vis des factions toujours tentées par le dépeçage de la Bosnie-Herzégovine, Paris et Bruxelles doivent exercer une pression conjuguée. La paix reste précaire dans les Balkans.
Sa sauvegarde passe d’abord par la libération de Jovan Divjak, symbole de la résistance à l’intolérance. [2]
Antoine Garapon, magistrat, Louis Joinet, magistrat, Maguy Marin, chorégraphe, Ariane Mnouchkine, Olivier Py, François Tanguy, metteurs en scène, Emmanuel Wallon, politologue.