Celui qui dit que la terre ne ment pas déraisonne, car la terre n’a pas la parole. Le langage advient seulement par l’interlocution entre les hommes. Celui qui prétend connaître la vérité d’un peuple affabule, car ce sont ses désaccords qui lui donnent conscience d’exister. L’identité est une affaire de police : ses marques signalent des individus à peine identiques à eux-mêmes. Mais le postpétainisme n’est plus le problème de Bernard-Marie Koltès. Son théâtre aménage un espace où les hommes ne peuvent habiter que dans la langue, celle qui les porte, les emporte, les trahit et les sauve aussi, parfois. Il dévoile comment leur indétermination éperdue invalide toute conformité à un profil, que ce dernier soit affublé de noir ou de blanc, qu’il arbore la barbe ou du fard à paupières. Il déjoue toute assignation identitaire, toute définition d’une figure nationale en exprimant le désir sans fin d’un autre visage. Si ”c’est un théâtre de la frontière, de l’obscurité de l’être humain“, comme le dit Jacques Nichet [1], alors cette frontière divise chacun dans ses entrailles et le verbe seul peut tenter de la tracer.
À travers la complainte de l’expatrié ou le chant du déraciné, le théâtre de Bernard-Marie Koltès explore les vertiges de la conscience occidentale, du moins tels que peut les éprouver une France délestée de son empire colonial, mais pas encore de son complexe de supériorité. Dans leur profonde originalité, ses pièces éclairent d’un autre jour des œuvres aux perspectives aussi différentes que celles d’Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Jean Genet, Michel Vinaver, mais aussi les textes d’Emmanuel Lévinas ou de Jean-Luc Nancy sur l’étranger.
Lieux, non lieux, lieux communs
Bernard-Marie Koltès a reçu l’hommage posthume de plusieurs bâtiments. Son nom orne désormais le fronton du Centre culturel français de Managua, baptisé en juin 2009 en présence de son frère François, du Théâtre du Saulcy à l’Université Paul Verlaine de Metz, inauguré de même le 16 octobre 2009, et d’un théâtre de Ljubljana, ouvert une semaine plus tard. Non loin du Théâtre des Amandiers de Nanterre, qu’étrenna en 1983 la première mise en scène de Combat de nègre et de chiens par Patrice Chéreau, une autre salle d’environ sept cents places lui est dédiée. Achevée une dizaine d’années après sa mort en 1989, elle loge dans le bâtiment de l’Université Paris Ouest qui abrite les études théâtrales, mais aussi cinématographiques, littéraires et philosophiques. Le campus déploie toujours alentour les décors qui virent éclore le mouvement de mai 1968, lorsque le “complexe universitaire” de “Nanterre-la Folie” poussait à la lisière des bidonvilles où les immigrés d’Afrique du nord s’entassaient avec leurs familles, dans la décennie qui suivit la guerre d’Algérie.
On dit que la France est une terre de métissage, ainsi que son équipe de football eût aimé le démontrer. C’est davantage un pays de voisinages - confiants ou suspicieux - entre enfants de la Méditerranée, natifs des provinces continentales ou de contrées ultramarines. La vieille nation pratique la cohabitation entre son présent de République décentralisée et son passé de régime colonial, en particulier dans cette banlieue à l’histoire sociale agitée. Elle fréquente intimement les pays qu’elle occupa jadis, à travers les populations qui la parcourent, y travaillent et l’habitent. Le Nord et le Sud s’y croisent comme deux lignes de métro à Barbès-Rochechouart. Le frottement entre les mémoires et les imaginaires des héritiers de ”dominants” et des descendants de ”dominés” opère parfois dans les arts plastiques, la littérature, la cinématographie et, d’une façon nettement plus audible, dans les musiques de la jeunesse. Comment le théâtre tremble-t-il de ces frictions, à quel point en est-il transformé ? La réponse réclame réflexion à partir d’œuvres significatives. Les pièces de Koltès en fournissent la matière, ne serait-ce que dans la mesure où elles sont apparues en une poignée d’années parmi les plus lues, les plus traduites et surtout les plus jouées par des professionnels et des amateurs de toutes générations et de maintes nationalités. Un exemple suffit à montrer leur aptitude au voyage, même lorsqu’elles semblent précisément situées : la dizaine de pages de Tabataba, écrite et montée en 1986 sur une commande de Théâtre ouvert en Avignon, puis éditée chez Minuit en 1990, fut représentée à Saint-Denis, Grenoble, Bruxelles, Santiago, Managua, Ljubljana, Sao Paulo, à Kinshasa et au Blanc-Mesnil (à ces deux reprises sous la direction de Philip Boulay), ainsi qu’à Annecy, traduite en créole, allemand, arabe, espagnol, grec, italien, portugais, slovène, turc, russe et [2] sans que le dialogue de Maïmouna et Petit Abou ne quitte le sol universel de la querelle entre une sœur et son frère, et ce bien que le titre - qui signifie “cancan“ ou “qu’en dira-t-on“ en malgache - désigne un village sous les tropiques.
Changement Barbès
L’écrivain n’ayant crainte des métaphores, repartons de la station Barbès où Carné, Kosma, Prévert et Trauner dressèrent Les Portes de la nuit en 1946. Telles les passerelles et les galeries arrimant les voies aériennes aux tunnels, les textes de Koltès aménagent une infinité de passages entre le plan politique et le plan poétique, cousent cent raccords entre la trame historique et le tissu narratif, dévident partout des canaux entre un corps social écartelé et la chair palpitante dont surgit la parole des personnages. Dans sa prose, la coursive qui mène de l’affirmation collective à l’énonciation individuelle dissimule ses issues, et celle qui revient en sens inverse abuse ceux qui s’y aventurent. François Bon avertit ainsi en introduction à son essai Pour Koltès : “Mais c’est ce cheminement souterrain et continu, de glissements et de failles, qu’il est important de saisir.” Il perçoit sous la forme “un décalage neuf des masses, une organisation autre des forces, qui n’emporte pas forcément toute la surface du texte, mais suffit à en faire cet objet autre, et résistant.” [3] De son côté, Christophe Bident, dans Koltès, archéologie du mythe, tente de repérer des pistes aussi difficiles à discerner, mais qu’il pense pourtant nécessaire d’emprunter, entre la biographie du Lorrain et l’œuvre de fiction qu’il lègue au terme d‘un parcours “tour à tour axial, désaxé, interrompu, déplacé, replacé, étagé, perverti”. [4]
Puisqu’en ce domaine les détours semblent plus propices aux découvertes que les itinéraires rectilignes de la critique méthodique, il importe de commencer ce voyage à travers les ailleurs de Koltès par un bref séjour dans cette Allemagne qu’il observa et écouta depuis Metz et Strasbourg. Habile aux entrelacs dans ses propres pièces, Heiner Müller a traduit Quai Ouest en 1986 : “Et là, je n’étais pas exempt de jalousie, parce que ça a l’air tellement non-construit. On est en présence de passages fluides d’un niveau de perception à un autre. Ces passages sont absolument fluides et on ne peut pas les situer à un point précis.” [5] Le rapprochement avec le dramaturge allemand ne doit pas être poursuivi pour autant, tant diffèrent les conditions et les modalités des ruses de résistance qu’ils opposent à l’état du monde. Quand son aîné de Berlin campe sur ses positions dissidentes ou investit un poste exposé afin de tenir au cœur de la mêlée, Bernard-Marie Koltès bondit, provoque et s’esquive tour à tour. Mon premier est un lutteur mi-lourd, mon second un boxeur plume ou coq.
Son comportement alterne, plutôt qu’il ne les combine, la revendication d’un non-engagement et celle d’une radicale implication dans les affaires du siècle. Après un voyage en Union soviétique en 1973-1974, il adhère au Parti communiste français avec lequel il maintient des liens jusqu’en 1979, peu avant l’entrée de l’Armée rouge en Afghanistan. Qu’on ne cherche pas en lui pour autant un fils spirituel de Louis Aragon, un barde de la classe ouvrière ni un chantre des nations opprimées, encore moins un prophète incompris prêchant la bonne parole à une France revêche, à coups de black is beautiful et de politically correct.
Ceci n’est pas une pièce
Koltès se montre formel dans ses déclarations. En dépit des intentions qu’on leur prête, ses pièces ne portent pas sur les ressorts du racisme ou les séquelles du colonialisme : “Combat de nègre et de chiens ne parle pas, en tout cas, de l’Afrique et des Noirs - je ne suis pas un auteur africain -, elle ne raconte ni le néocolonialisme ni la question raciale. Elle n’émet certainement aucun avis [...]. Ma pièce parle peut-être un peu de la France et des blancs : une chose vue de loin, déplacée, devient parfois plus déchiffrable. Elle parle surtout de trois êtres humains isolés dans un lieu du monde qui leur est étranger, entourés de gardiens énigmatiques. J’ai cru - et je crois encore - que raconter le cri de ces gardes entendu au fond de l’Afrique, le territoire d’inquiétude et de solitude qu’il délimite, c’était un sujet qui avait son importance.“ [6] Le Retour au désert n’est pas davantage une pièce sur le FLN et l’OAS. [7] Dans la solitude des champs de coton ne dénonce ni les trafics d’un noir dealer, ni les préjugés d’un client blanc. Roberto Zucco n’est pas une bombe allégorique lancée contre les appareils servant à surveiller et punir, pas plus qu’une tentative de réhabiliter l’assassin.
En revanche il serait difficile de nier que la figure de l’étranger hante toute son œuvre. Romanesque et philosophique pour Albert Camus, chez qui Meursault fait l’expérience de se découvrir étranger par rapport à sa famille et à ses compatriotes comme il l’est vis-à-vis de ses voisins arabes, cette silhouette est éminemment théâtrale chez Koltès, dans la mesure où son apparition loquace installe aussitôt le lieu d’un écart et l’espace d’un conflit, en même temps qu’elle instaure une tension dramatique. C’est sans doute pour cette raison que l’ont si vite adoptée des pays où sa langue conserve une étrangeté irréductible à la traduction : l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, la Russie, sans parler des États-Unis où il a erré, vécu, rêvé - et où Françoise Kourilsky introduisit son œuvre dès 1982, à La Mamma de New York. D’après Franck Meyrous, [8] le corpus koltésien se décline dans trente idiomes et quarante-sept pays au moins.
S’il existe une ressource inépuisable pour le théâtre, c’est la mauvaise foi. Elle déploie dans le discours des mobiles et des effets dont les engrenages valent ceux d’une machinerie à l’ancienne, avec des combles et des dessous d’une complexité analogue aux superpositions du plateau. Sœur aigrie du doute auquel la raison s’alimente, volontiers disposée à masquer les faits ou nier les éléments qui l’ont nourrie, prompte aussi à se retourner en haine contre les agents dont la présence et la voix l’avivent, elle est partagée de manière disparate à travers ce qu’il est encore convenu d’appeler l’Occident. Malgré Montaigne et Montesquieu, la France, mère des arts et des lois, cultive la sienne avec soin. De Molière et Marivaux jusqu’à Sartre et Genet, elle lui donne la parole sur les planches. Après la Révolution, aucune autre nation n’a su marier de la sorte un évangile d’émancipation universelle avec des pratiques d’asservissement dans ses dépendances. Le XXème siècle a donné au pays de Hugo et Schœlcher le loisir d’échauffer ses contradictions, tout particulièrement dans la période d’après-guerre, où la “patrie des droits de l’homme”, enfin débarrassée de l’occupation allemande, refusait d’affranchir des peuples dépossédés de leurs facultés politiques et le leur signifiait brutalement à Sétif, Guelma, Tananarive et Haiphong.
Après une décolonisation payée au prix du sang et des larmes, le camouflage des intérêts économiques des entreprises du Nord sous le voile pudique de l’aide aux États du Sud “en voie de développement“ a creusé des traces et marqué les corps. La suffisance de certains cadres expatriés frappe Koltès, comme l’arrogance des grands propriétaires de la Mitidja avait choqué Francis Jeanson lors de son premier voyage en Algérie : “Le néo-colonialisme donne à tous ces hommes et à toutes ces femmes un certain nombre de rides particulières, que je n’ai jamais vues ailleurs, et qui se dessinent à la verticale, du bord extérieur des yeux jusqu’au milieu de la joue, comme une traînée de larmes écartée par le vent.“ [9] Koltès n’a pourtant pas besoin de fouiller les tréfonds de la conscience nationale pour en extraire sa matière théâtrale. Il se contente de retourner en surface le champ du parler où elle affleure. C’est dans cet ordre-là qu’il met en scène le soupçon, le remords, la rivalité, l’agressivité, le penchant pour la domination ou la soumission, le vœu de possession ou de fusion, mais aussi l’inquiétude qui s’attache à toute envie. C’est là, dans la fabrique du discours, qu’il pose ses pièges à désir, dissimulés sous des attracteurs d’émotions. Seule la langue allume cet “incessant phénomène explosif, d’ordre poétique, par lequel l’action progresse indépendamment de toute causalité”, dont Michel Vinaver parle à propos de son cadet, [10] lui qui avait exposé en expert de la “stratégie verbale” - selon la formule de Michel Corvin - les apories du dialogue entre des soldats occidentaux et leurs adversaires asiatiques dans Les Coréens (1955). Les légendes grecques, enflées de fureurs divines et de passions mortelles, du fracas des rixes entre familles et tribus, des revanches d’un clan contre une engeance ennemie, des guerres entre royaumes et cités, ont heurté l’enceinte de l’Agora et cela a produit la tragédie. De même, entériner cette évidence que Koltès n’écrivit pas de drames historiques ni de comédies politiques n’empêche pas d’admettre que sa dramaturgie a puisé des aliments dans un langage officiel dont la duplicité autorisait la ségrégation sous l’alibi des proclamations de liberté, d’égalité et de fraternité.
L’enfance de l’histoire
Bernard-Marie Koltès pratique une écriture presque dépourvue d’allusion directe à l’histoire, mais percée par celle-ci de toutes parts, irriguée de l’intérieur par une historicité immédiatement présente. Comme cela commence à se savoir, il a grandi à Metz, ville natale de Verlaine, annexée par l’Allemagne de la défaite de Sedan en 1870 à l’armistice de 1918. C’est le siège d’un commandement militaire au milieu d’une région de garnisons, l’armée française n’ayant cessé de concentrer des troupes sur le flanc nord-est qu’après la réunification de l’Allemagne en 1990. La ville où il se sentait “toujours impitoyablement décalé” l’honora - à moins qu’elle ne s’honorât elle-même - d’un jardin inauguré par le sénateur-maire (centre droit) Jean-Marie Rausch pour le dixième anniversaire de sa mort. [11] “Mon pauvre Bernard”, commentèrent d’intransigeants admirateurs sur un site voué à sa mémoire, “les temps sont tristes, mais les politiques et leurs chiens de garde [12] n’ont pas fini de nous faire rire.” [13]
Il faut égrener quelques dates. Bernard-Marie Koltès naît en 1948, un an après la répression sanglante des émeutes à Madagascar, trois ans après les massacres perpétrés par l’armée et la gendarmerie en Kabylie contre des manifestants réclamant pour l’Algérie le bénéfice de la liberté arrachée au nazisme. Il a six ans en 1954, quand les survivants du corps expéditionnaire français se rendent au Viêt Minh dans la cuvette de Diên-Biên-Phû, lorsque l’insurrection éclate dans les Aurès et que le ministre de l’Intérieur François Mitterrand déclare aux députés, le 12 novembre : “L’Algérie c’est la France ! Et qui d’entre vous, Mesdames et Messieurs, hésiterait à employer tous les moyens pour préserver la France ?“ (...) “Je n’admet pas de négociation avec les ennemis de la patrie. La seule négociation c’est la guerre”. Il en atteint huit quand le débarquement anglo-franco-israélien de Suez tourne à la débâcle diplomatique. Il célèbre son neuvième anniversaire alors que le général Massu mène la bataille d’Alger, son douzième tandis que ce dernier devient gouverneur de Metz. Peu après, comme tant d’adultes qui ne prendront la mesure des événements qu’avec trente ans de retard, le collégien Bernard-Marie ignore la ratonnade policière du 17 octobre 1961, qui se solde par la mort de dizaines d’Algériens venus sans armes à Paris défiler pour l’indépendance, alors qu’il entend sûrement parler, cinq mois plus tard, le 8 février 1962, de la souricière du métro Charonne dans laquelle périssent huit Français manifestant pour la paix et contre l’OAS des colons ultras. Dans cette calme province, des échos assourdis lui parviennent peut-être des référendums de 1960 accordant, aux conditions du gouvernement gaulliste, l’indépendance aux pays d’Afrique du centre et de l’ouest. L’approbation populaire des accords d’Évian qui mettent fin à la guerre d’Algérie, le 8 avril 1962, fait plus de bruit.
La Lorraine est loin du Sahara, mais l’enfance se moque des distances. “Le Retour au désert est structuré par les heures de prière musulmane, lesquelles voilent à peine les cinq actes de la dramaturgie classique.” [14] L’attentat du café Saïfi fait détonner une charge de réalité en pleine fiction. “J’étais à Metz en 1960. Mon père était officier, c’est à cette époque-là qu’il est rentré d’Algérie. En plus le collège Saint-Clément était au cœur du quartier arabe. J’ai vécu l’arrivée du général Massu, l’explosion des cafés arabes, tout cela de loin, sans opinion, et il ne m’en est resté que des impressions - les opinions, je les ai eues plus tard. J’ai tenu à ne pas écrire une pièce sur la guerre d’Algérie, mais à montrer comment, à douze ans, on peut éprouver des émotions à partir des évènements qui se déroulent au-dehors. En province, tout cela se passait quand même d’une manière étrange : l’Algérie semblait ne pas exister et pourtant les cafés explosaient et on jetait les Arabes dans les fleuves. Entre douze et seize ans, les impressions sont décisives, je crois que c’est là que tout se décide. Tout. Moi, évidemment, en ce qui me concerne c’est probablement ce qui m’a amené à m’intéresser davantage aux étrangers qu’aux Français.” [15]
Les luttes de libération nationale couvent un peu partout sur la planète pendant que Koltès traverse l’adolescence. C’est en jeune homme qu’il assiste, avec le reste du monde, au pilonnage du Cambodge et du Viêtnam par les B 52 nord-américains. Il a vingt ans en 1968 : “J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie”, écrivait Paul Nizan en guise d’incipit pour Aden Arabie. [16] Et l’homme qui entame la rédaction de Quai Ouest à trente-trois ans, l’âge du Christ à sa mort, voit l’ascension de François Mitterrand au Panthéon après les présidentielles de 1981.
Au risque de saper le commentaire universitaire dont le volume croissait à grande vitesse, voire d’amoindrir la valeur des documentaires que son frère François a réalisés après son décès, [17] Alain Prique avançait dans sa présentation des Entretiens avec l’écrivain [18] que Koltès aurait rêvé de disparaître derrière son œuvre. Le trait décrit bien ce lecteur de William Faulkner qui, paraît-il, aurait souhaité pour toute épitaphe “He wrote books and he died” au lieu du “Beloved Go with God“ ornant sa tombe d’Oxford (Mississipi), sur laquelle les admirateurs inconditionnels ont coutume de vider une bouteille de bourbon. Il est tout de même permis de chercher dans la vie de Bernard-Marie quelques indices de son penchant pour le versant caché des identités. Beaucoup de choses ont été rapportées à ce sujet. Il remémore lui-même sa révélation du théâtre devant le Médée de Sénèque, à Strasbourg en 1969, dans la mise en scène de Jorge Lavelli et, surtout, l’interprétation de Maria Casarès. [19] Ses amis comme ses critiques évoquent son goût pour l’errance, l’attrait de l’exil dès l’enfance, puis l’homosexualité comme un pas de côté vers l’ubiquité. Mais comment franchit-on le seuil entre une poésie de l’évasion et un théâtre de l’altérité ?
Voyages et dérives
(...)
Lire la suite de l’article en version abrégée in Yannick Butel, Christophe Bident, Christophe Triau & Arnaud Maïsetti (dir.), Koltès maintenant et autres métamorphoses, LEIA, Université de Caen, Vol. 18., (Bruxelles : Peter Lang, 2010), p. 275-296.